Future des ONGI | Partie 1 : après 4 versions, le système d'exploitation des ONGI a besoin d'une refonte.

Esprits positifs | Histoires positives | Edition 033

Après quatre itérations de leur système d'exploitation, les ONGI sont progressivement passées d'une ère d'opacité et de contrôle total du pouvoir à une ère de transparence et de transfert progressif du pouvoir. Toutefois, le chemin pour parvenir à l'équilibre des pouvoirs entre le "Monde du Nord" et le "Monde du Sud" ou entre les fournisseurs et les clients de l'aide est encore long et cahoteux. Mais c'est un chemin irréversible.​​​​​​​

Les 5 versions du voyage transformationnel des ONGI

​​​​​​​Je travaille dans le développement international et l'humanitaire depuis que j'ai obtenu mon diplôme universitaire, il y a presque 30 ans ; autrement dit, toute ma vie d'adulte. Au cours de ces années, j'ai connu quatre versions majeures du "système d'exploitation" des ONGI ; la cinquième est en gestation. Et pourtant, le système n'est toujours pas adapté à la réalité.

Version 1 : l'ère des sauveurs blancs aux pouvoirs illimités

Ils étaient connus sous le nom d'expatriés d'outre-mer. Ils occupaient la presque totalité des postes de direction et de personnel clé, y compris dans les bureaux de terrain reculés. Pour le jeune ingénieur ambitieux que j'étais à l'époque, c'était un signal on ne peut plus clair que ces postes étaient la pomme dans le jardin d'Edem. À moins d'être possédé par Satan, il était formellement interdit d'en manger, même en rêve. Il ne pouvait en être autrement. J'avais trois handicaps, perçus ou réels. J'étais noir ; donc, pas digne de confiance. J'avais étudié dans une université africaine ; donc, pas assez compétent. Je n'avais pas de cheveux gris ; donc, pas assez sage. Malheureusement, ces perceptions persistent encore de nos jours. Comme quoi, les habitudes ont la vie dure.

À l'époque, les paroles de ces "expatriés d'outre-mer" étaient l'évangile, et leur comportement était la règle d'or à reproduire par tous, tout le temps et partout.

Ils décidaient des projets à financer, où, quand, pour qui, et du budget à allouer. Pour eux, les contrôles internes étaient un luxe dont il ne fallait pas se soucier ; les audits étaient une denrée rare.

Puis des scandales financiers ont ébranlé le secteur, l'obligeant à changer de disque et de système d'exploitation. Les jours de gloire des sauveurs blancs dignes de confiance étaient sur le déclin.

Version 2 : l'ère de la redevabilité financière et de la rigueur opérationnelle

À l'automne 2010, l'USAID a suspendu l'Academy for Educational Development (AED), l'un de ses principaux sous-traitants, pour mauvaise gestion des fonds. AED a été dissoute, a vendu ses actifs et a transféré ses programmes à FHI, qui a depuis été rebaptisé FHI360. Après le scandale de l'AED, l'USAID a renforcé ses politiques et procédures de décaissement des fonds et a opté pour des paiements basés sur les résultats. D'autres donateurs lui ont emboîté le pas.

Sous la pression de leurs donateurs et de leurs conseils d'administration, les ONGI ont mis en place des des départements d'audits internes et de lutte contre la fraude et la corruption, des chiens de garde tout-puissants. Elles ont commencé à utiliser les services de cabinets comptables, principalement les quatre grands (Ernst & Young, Deloitte, KPMG et PricewaterhouseCoopers - PwC), pour certifier leurs états financiers. Aujourd'hui, ne pas faire certifier ses états financiers par un cabinet comptable est une condamnation à mort.

Centrées sur les résultats, la stabilité financière et la transparence, les ONGI ont négligé de s'attaquer à la culture organisationnelle héritée des sauveurs blancs : verticale, toxique, abusive et coloniale, avec une division des rôles entre deux mondes.

D'un côté, le "Monde du Nord" : ceux qui ont l'argent et le pouvoir et donnent les ordres. De l'autre côté, le "Monde du Sud" : ceux qui sont pauvres et impuissants et devant exécuter les ordres.

Le mouvement #MeToo a changé la donne et mis les ONGI au défi de repenser leurs méthodes de travail et leurs modèles opérationnels

Version 3 : l'ère du militantisme pour un développement centré sur l'humain

Lorsque l'activiste sociale et animatrice communautaire Tarana Burke a lancé le mouvement #MeToo en 2006, personne ne pouvait s'attendre à de choc planétaire qu'il allait créer 10 ans plus tard. Avec son tweet #MeToo en octobre 2017, Alyssa Milano a rendu le mouvement mondial. Le réalisateur Harvey Weinstein a été parmi les premiers hommes puissants à être mis à genoux par #MeToo. Depuis, #MeToo a fait tomber des centaines d'autres hommes puissants et amené leurs entreprises au bord de la faillite.

Les ONGI étaient ravies de voir le mouvement prendre de l'ampleur et applaudissaient à tout rompre. Après tout, cela faisait des années qu'elles faisaient campagne contre le harcèlement et les abus sexuels, mais sans grand succès. En tant que bienfaiteurs autoproclamés, ils étaient trop occupés à regarder vers l'extérieur et à pointer du doigt les autres, oubliant la chose la plus fondamentale : se regarder dans le miroir.

La donne a changé le 9 février 2018, lorsque le journal britannique The Times a publié en première page un article sous le titre : "Le personnel d'Oxfam a payé des survivants [du tremblement de terre] en Haïti pour le sexe". L'onde de choc #MeToo avait finalement et inévitablement atterri dans l'arrière-cour des bienfaiteurs, les frappant de plein fouet. Oxfam était en première ligne et a absorbé la majeure partie du choc. Les ONGI étaient mal préparées et ont paniqué. Leurs stratégies non coordonnées et autoprotectrices se sont rapidement et profondément retournées contre elles. Comme dans le monde des affaires, de nombreux membres de leurs équipes dirigeantes ont été contraints de démissionner.

Grâce à #MeToo, toutes les grandes ONGI disposent désormais de départements de safeguarding à part entière et bien dotés en ressources, et ont adopté une approche centrée sur les survivant(e)s, inspirée par Oxfam.

Alors qu'elles se relèvent de l'onde de choc de #MeToo et de ses répliques, les ONGI ont été durement secouées par la tempête #BlackLivesMatter. Elles ont rapidement réalisé que leurs systèmes d'exploitation étaient exposés à des attaques internes et externes, nécessitant ainsi une mise à niveau majeure.

Version 4 : L'ère de la diversité, de l'égalité et de l'inclusion (DEI)

Le mouvement #BlackLivesMatter ou BLM a été fondé en 2013 en réaction à l'acquittement du meurtrier de Trayvon Martin aux États-Unis. Mais il a pris de l'ampleur et est devenu un mouvement mondial après le meurtre atroce et indifférent de George Floyd par un policier blanc le 25 mai 2020. Le meurtre de Floyd a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. L'indignation des BLM s'est étendue au monde entier et les ondes de choc ont ébranlé les fondations des principales ONGI. Elles ont été critiquées, y compris et surtout par leurs propres membres, pour leur manque de diversité et d'intégration, et pour leur soutien à la suprématie blanche et à d'autres discriminations systémiques.

En réponse à #BlackLivesMatter, la plupart des ONGI ont développé des stratégies, des politiques et des procédures DEI. Elles ont créé des départements DEI pour porter l'agenda organisationnel sur la question. Certaines ont procédé à des nominations très médiatisées de soi-disant minorités ethniques dans leurs équipes de direction et leurs conseils d'administration.

Ces efforts sont louables ; toutefois, ils ne permettent pas de relever les défis structurels et systémiques créés par la culture organisationnelle.

Un changement profond est donc requis. Il porte un nom très à la mode : la décolonisation de l'aide. Je ne suis pas un grand fan de cette terminologie. Elle me rappelle le passé douloureux de l'Afrique (Reportez-vous à mon  post sur LinkedIn). Je l'appellerai plutôt transfert du pouvoir du "Monde du Nord" vers le "Monde du Sud" ; deux termes que je n'aime pas non plus. Ils renforcent l'ère du néo-colonialisme. Mais pour me faire comprendre, je les adopte ; pour l’instant.

Le navire du changement quitte le quai avec des sièges libres et spacieux pour les ONGI. Le ticket pour voyager s'appelle "transfert de pouvoir".

Restez à l'écoute pour la deuxième partie de ce blog. Elle portera sur la version 5 des ONGI, toujours en gestation : l'ère du transfert du pouvoir [du "Monde du Nord" au "Monde du Sud"]. Je parlerai des 5 choix difficiles que les ONGI doivent faire pour transférer le pouvoir et rester pertinentes dans des environnements où leur légitimité et leur crédibilité sont plus que jamais remises en question.

Ai-je manqué ou déformé une ère ou une version des ONGI ? Je suis intéressé par vos points de vue et opinions. Le débat est à présent ouvert.

Adama Coulibaly | Positive Minds

Expert en développement international et en aide humanitaire, Adama Coulibaly, alias Coul, a trois décennies d'expérience au sein d'ONG internationales et des Nations unies, œuvrant pour la justice sociale et l'égalité entre les femmes et les hommes.

Blogueur prolifique, il partage des pensées positives sur le leadership et la conscience sociale. Dévoué au mentorat de la jeunesse africaine, il cherche à inspirer la résilience et l'engagement, croyant en leur potentiel pour bâtir une Afrique libre, unie et prospère.

Pour en savoir plus sur moi, cliquez ici.

https://adamacoulibaly.com
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