Comment ai-je vécu l'enlèvement et la libération de deux collègues sains et saufs; et qu'ai-je appris de cette expérience ?

Esprits positifs | Histoires positives | Edition 030

Le mercredi 11 mai 2022, deux véhicules de l'International Rescue Committee (IRC) ont été attaqués par des hommes armés. Le conducteur d'un des véhicules a été blessé par balle et le conducteur et un collègue du second véhicule ont été kidnappés.

Le jeudi 19 mai 2022, nos deux collègues ont été libérés sains et saufs, marquant la fin d'un calvaire de 9 jours pour eux, leurs familles, leurs proches et leurs collègues. Nous rendons "Gloire à Dieu".

Je fais un flash-back sur ces 9 jours de captivité et de calvaire de nos deux collègues et comment je les ai vécus.

Tout d'abord, commençons par ma motivation à écrire publiquement sur cet incident. Tout a commencé par une conversation anodine avec un homologue directeur pays d'une ONG Internationale en RDC. 

  • Mon homologue: Bonjour Adama, je ne sais pas comment vous avez réussi à faire libérer vos deux collègues en toute sécurité et à aboutir à cette fin heureuse, mais j'ai pensé que vous pourriez être une personne ressource au cas où une autre ONGI serait confrontée à une situation similaire.

  • Moi : Bien sûr. Je serai ravi d'être une caisse de résonance et une personne ressource. Cela dit, je souhaite plutôt qu'aucune organisation ou leader ne soit confronté à une telle situation malheureuse et ne la gère.

  • Mon homologue: Oh combien je te rejoins en espérant ne pas vivre cette expérience dans mon équipe... Mais Noé construisit son Arche avant le déluge.

"Noé construisit son Arche avant le déluge" provoqua un déclic chez moi et des tonnes de questions. J'en énumère deux ici :

  • Noé a construit son arche pour sauver l'humanité d'un déluge planétaire. Pourquoi les ONGI construisent-elles leur arche pour ne sauver que leur personnel en cas de déluge (en faisant le parallèle avec le kidnapping) ?

  • L'Arche de Noé a été construite au vu et au su de tous, avec la contribution de chacun et un travail d'équipe. Pourquoi les ONGI gardent-elles tous les détails de la construction de leur Arche top secret, même après la fin du déluge ? En d'autres termes, pourquoi ne partageons-nous pas avec les autres la manière dont nous avons géré les incidents critiques, tels que l'enlèvement d'employés, afin que notre secteur puisse en tirer des enseignements ?

Après ma conversation avec mon homologue, j'ai décidé d'enfreindre la règle et de partager mon expérience avec d'autres, tout en préservant la vie privée de nos collègues kidnappés et la confidentialité de cette affaire.

Parlons à présent de l'incident. Résumer 9 jours de gestion de crise, avec un fort taux d'adrénaline, dans un blog de 5 min n'est pas chose aisée. Fort heureusement, nous disposons de métaphores pour transmettre nos messages clés de manière concise et simple.

Commençons par le comité de gestion de crise : choisir entre être des lions ou des fourmis géantes.

Les lions et les fourmis magnans ont des caractéristiques similaires : ils sont féroces et ils sont craints. Mais leurs similitudes s'arrêtent là.

Les lions sont arrogants, indisciplinés et très souvent solitaires. Leur arrogance, leur indiscipline et leur solitude leur coûtent souvent la vie et mettent en danger leur famille et leurs proches.

Contrairement aux lions, les fourmis magans sont unies, disciplinées et connues pour leur travail d'équipe inégalé. Attaquez-en une, et vous aurez toute la horde à vos trousses.

Quand un lion chasse, il adopte toujours la même stratégie. Attendre patiemment sous les bois. Attendre que sa proie soit à sa portée. Sauter de sa cachette comme une fusée et profiter de l'effet de surprise pour abattre sa proie d'un coup de griffe ou de croc. Mais cette stratégie a un taux de réussite d'à peine 20%, c'est pourquoi le lion peut rester affamé pendant 5 à 7 jours et risquer de mourir.

Les fourmis magans n'ont pas une stratégie unique. Elles adaptent leur stratégie à la situation et à la proie ou au prédateur, et elles s'adaptent très rapidement. La défaite n'est pas une option pour elles. Lorsqu'elles partent à la chasse ou à la recherche de nourriture, c'est pour ramener quelque chose à manger à la fin et pour se constituer une réserve. 

En tant que comité de gestion de crise, nous avons choisi d'être des fourmis magnans et avons adopté toutes leurs qualités : solidarité, discipline, travail d'équipe, interdépendance, complémentarité, vivacité, agilité, proactivité, partage des rôles et des responsabilités, et surtout, une confiance inébranlable les uns envers les autres.

Comment gérer la communication et contenir les rumeurs : choisir entre un journal grand format et un tabloïd.

Les journaux grand format sont plus longs, comportent plus d'articles et ont des fréquences plus longues. Les articles publiés passent par un processus de lecture et de revue rigoureux et centralisé afin d'être validés et publiés. Au moment où ils sont publiés, bien qu'importantes, les informations diffusées ne sont plus d'actualité. Leur public cible est constitué des classes aisées de la population, souvent proches des centres de pouvoir et de décision. Dans notre jargon, ce sont des SitRep envoyés à la région et au siège à une fréquence convenue. Le groupe cible est constitué des cadres supérieurs et des dirigeants de l'organisation, l'élite.

Contrairement aux journaux à grand format, les tabloïds sont des "petits journaux" contenant des histoires condensées qui sont facilement digérées par les lecteurs au quotidien. Ils suivent le cours de l'actualité et publient des "Breaking News" lorsque cela est nécessaire. Les lecteurs des tabloïds sont traditionnellement issus des classes populaires.Dans notre jargon, il s'agit de mises à jour par e-mail envoyées régulièrement à l'ensemble du personnel ; la population de masse de l'organisation.

Lorsqu'il s'est agi de communiquer sur la crise, nous avons choisi d'être des tabloïds, mais avec une forte dose de "journalisme éthique". Nous avons fait des "mises à jour flash", notre équivalent des "breaking news", lorsque cela était nécessaire. Des mises à jour quotidiennes étaient envoyées au personnel et à d'autres parties prenantes externes telles que l'UNOCHA, l'INSO (International NGO Safety Organisation) et le Forum des ONG internationales en RDC. Et lorsque cela était nécessaire, nous avons organisé une réunion de tout le personnel et répondu aux questions en direct, c'est-à-dire une "conférence de presse".

Tout au long de la gestion de l'incident, notre devise de communication était "créer et maintenir l'espoir et le positivisme". Nous avons respecté cette devise du premier au neuvième jour de l'enlèvement. Nous avons entretenu la flamme de l'espoir avec la ferme conviction que nos deux collègues seraient libérés sains et saufs.

Mais pour moi, le socle pour gérer et surmonter une crise est la prière dans la compassion et l'unité.

Même si je ne peux ni le voir ni le toucher, je suis fermement convaincu qu'un Être suprême veille sur notre destin : Dieu, le Tout-Puissant et le Très Miséricordieux. En faisant face à cette crise, je me suis également rendu compte - sans surprise - que la plupart de mes collègues de l'IRC partagent cette conviction. La preuve : lorsque j'ai informé le personnel de la libération de Pacifique et Clément, tous les messages que j'ai reçus de leur part commençaient par trois mots : Gloire à Dieu

Et je le répète, "Gloire à Dieu." pour avoir veillé sur nos deux collègues pendant leur captivité et les avoir ramenés sains et saufs à leurs familles. "Gloire à Dieu" pour nous avoir guidés et conseillés dans ces moments difficiles, sans craquer et sans douter une seule seconde de l'issue heureuse. "Gloire à Dieu"Et je le répète, "Gloire à Dieu." pour avoir veillé sur nos deux collègues pendant leur captivité et les avoir ramenés sains et saufs à leurs familles. "Gloire à Dieu" pour nous avoir guidés et conseillés dans ces moments difficiles, sans craquer et sans douter une seule seconde de l'issue heureuse. "Gloire à Dieu" pour nous avoir permis de faire face à la crise avec compassion dans l'unité et la prière.

Ensemble, nous avons pu gérer cet incident et le surmonter parce que nous avons choisi d'être des fourmis magnans, pas des lions ; de communiquer comme des tabloïds, pas des journaux grand format ; et surtout, de faire tout cela avec compassion dans l'unité et la prière. 

Sur un plan plus personnel, je suis passé par toutes sortes d'émotions... parfois contradictoires, parfois simultanées mais jamais en conflit.

  • La peur en permanence, surtout lorsque les ravisseurs menaçaient de blesser Pacifique ou Clément.

  • La compassion pour les familles de nos deux collaborateurs mais aussi pour tous nos autres collaborateurs, y compris ceux au niveau communautaire qui ont été affectés par cet incident autant que nous.

C'est alors que vous réalisez que le droit de savoir et le devoir de diligence vont bien au-delà du cercle restreint des membres du personnel et de leurs familles. Vous êtes également redevable au cercle élargi.

  • Le doute lorsqu'une stratégie bien pensée et planifiée s'effondre instantanément parce que quelqu'un n'a pas suivi le script dans le feu de l'action.

  • La fermeté et la rage lorsque des personnes ne respectent pas le protocole de communication et mettent en danger les collaborateurs kidnappés.

  • La fierté de travailler avec des collègues exceptionnels et talentueux au sein du comité de gestion de l'incident.

Enfin le soulagement de voir nos deux collègues libérés, de les voir en chair et en os, debout sur leurs deux pieds et avec un moral d'acier. En ce moment précis, j'ai dit à nouveau: "Gloire à Dieu"

Oups ! J'étais sur le point d'oublier quelque chose d'hyper important : le rôle habilitant de la région et du siège, et en particulier de votre responsable hiérarchique. S'il vous arrive de gérer un incident critique, sachez que les politiques, procédures et processus organisationnels peuvent rapidement devenir votre pire cauchemar, en particulier si votre supérieur hiérarchique suit strictement les règles et veut couvrir ses arrières au cas où les choses tourneraient mal ; et en effet, les choses pourraient et peuvent mal tourner.

Heureusement pour moi, mon supérieur hiérarchique n’en fait pas partie. Elle a laissé l'équipe pays prendre le siège conducteur et la région en soutien sur le siège arrière. Elle est la parfaite illustration du dicton :"les règles sont faites pour l'obéissance des imbéciles et le discernement des sages".

Elle nous a protégé contre les demandes et perturbations dans l'organisation. Dès qu'elle a été informée de l'incident, le message au reste de l'organisation était clair :

Laissez l'équipe de l'IRC en RDC tranquille, j'ai entière confiance en la direction pays pour gérer cet incident critique. À partir de cet instant, la gestion de l'incident est leur seule et unique priorité. Tout le reste sera dépriorisé. Si vous avez besoin de quelque chose ou avez des questions, demandez moi.

Son nom est Kate Moger. Merci de votre confiance en moi et en mon équipe.

Et vous, avez-vous déjà géré un incident critique ? Et si oui, qu'en avez-vous appris qui puisse être utile à moi et à d'autres.

Adama Coulibaly | Positive Minds

Expert en développement international et en aide humanitaire, Adama Coulibaly, alias Coul, a trois décennies d'expérience au sein d'ONG internationales et des Nations unies, œuvrant pour la justice sociale et l'égalité entre les femmes et les hommes.

Blogueur prolifique, il partage des pensées positives sur le leadership et la conscience sociale. Dévoué au mentorat de la jeunesse africaine, il cherche à inspirer la résilience et l'engagement, croyant en leur potentiel pour bâtir une Afrique libre, unie et prospère.

Pour en savoir plus sur moi, cliquez ici.

https://adamacoulibaly.com
Précédent
Précédent

Opérer dans l'Est de la RDC ou comment rester pertinent lorsque l'accès et l'espace humanitaires se rétrécissent.

Suivant
Suivant

Et si la crise russo-ukrainienne donnait un coup de pouce à l'intégration africaine ?