Entre failles et premières lignes: Ce que les derniers mois m'ont appris sur le leadership en temps d'incertitude

PositiveMinds | Histoires positives | Edition 065

Illustration montrant un cerveau et un cœur en deux panneaux : d'abord en conflit, puis en harmonie, représentant la fausse tension et le vrai partenariat entre la raison et l'émotion dans le leadership.

Illustration par A. Coulibaly avec canva.com

Le monde tremble - et nous aussi

Nous vivons une époque où les fondations mêmes de l’ordre mondial sont en train de bouger – comme des plaques tectoniques qui se déplacent silencieusement sous nos pieds. Ce qui paraissait autrefois solide devient instable. Le cadre établi après la Seconde Guerre mondiale pour promouvoir la paix, la coopération internationale et le multilatéralisme est mis à rude épreuve, fissuré à chaque ligne de faille. 

Le libéralisme ne meurt pas bruyamment ; il s’éteint discrètement. Les autocraties ne se cachent plus ; elles s’exhibent. La vérité rivalise avec le mensonge – et perd souvent. Les institutions multilatérales semblent fragiles. Dans cette désorientation, l’attraction gravitationnelle va vers l’autarcie, le protectionnisme, et la loi du plus fort. Voici les nouvelles forces tectoniques : les mensonges, silence, révisionnisme, autisme politique, nostalgie coloniale et ambitions totalitaires. 

Et comme les plaques tectoniques, ces forces bougent lentement, parfois de manière imperceptible – jusqu’au moment où la secousse survient.

Quand le chaos est dehors, notre monde intérieur devient vulnérable

Quand l’extérieur vacille, notre intérieur – personnel, organisationnel – devient plus exposé. On perd nos repères. La boussole tourne à vide. Et dans ces moments, le regard se tourne vers les personnes qui dirigent. Vers nous. 

Et c’est là que le paradoxe du leadership apparaît : 

  • Lorsque nous parlons avec rigueur et données à l’appui, nous pouvons sembler froid·es ou détaché·es.

  • Lorsque nous menons avec le cœur, nous avons peur d’être perçu·es comme manipulatrices ou trop émotionnel·les.

  • Lorsque nous essayons d’afficher de la confiance en pleine incertitude, nous pouvons avoir le sentiment d’être des imposteur·rices – surtout lorsque cette confiance bascule dans une forme de positivité toxique, qui dissimule les doutes et les difficultés derrière un optimisme forcé.

Nous nous fragmentons intérieurement, tiraillé·es entre raison et émotion, fermeté et douceur, décision et doute.

Parfois, nous oscillons comme des pendules. D’autres fois, nous avons l’impression de jouer plusieurs rôles en même temps. Bipolaires, peut-être. Schizophrènes, même – non pas au sens médical, mais dans le sens d’un éclatement entre ce que nous savons, ce que nous ressentons et ce que nous pouvons exprimer. 

Mais est-ce une fatalité ? 

Raison et émotion ne sont pas ennemies – elles sont partenaires

L’une des plus grandes prises de conscience que j’ai eues ces derniers mois, c’est que nous opposons trop souvent raison et émotion. Le cerveau et le cœur sont vus comme des adversaires. Comme si penser clairement nécessitait de taire ce que l’on ressent. Or, c’est une illusion qui nous affaiblit. 

En réalité, nos équipes attendent de nous que nous incarnions les deux. Elles veulent connaître les faits – mais elles veulent aussi savoir que nous ressentons l’impact de ces faits. Elles attendent de l’honnêteté – mais aussi de l’humanité.
 

En temps de crise, notre plus grande force réside dans notre capacité à être à la fois rationnel·les et compatissant·es. Le cœur et le cerveau ne sont pas des opposés – ce sont un couple fusionnel. Leur union est le siège de notre intégrité.

 Porter seul·e la charge n’est pas une preuve de force

Un autre mythe à déconstruire : être fort·e, c’est tout porter seul·e. Beaucoup d’entre nous tombent dans ce piège – par bienveillance, pas par orgueil. On se dit : Si je prends tout sur moi, j’épargne l’équipe. Mais nos collègues ne veulent pas que nous nous sacrifiions pour les protéger. Cela ne les rassure pas – cela les rend impuissant·es. 

Ce qu’ils·elles souhaitent, c’est le partage du fardeau. Ils·elles veulent construire l’écran protecteur avec nous, et non rester derrière pendant que nous nous consumons devant. Ils·elles ne veulent pas être les problèmes à résoudre – ils·elles veulent participer à la résolution des problèmes. 

La meilleure protection, c’est la participation. La responsabilité partagée crée une résilience partagée. C’est ainsi que l’on passe de la fragilité à l’antifragilité. 

Il n’y a pas de manuel pour tout – et c’est normal

Nous cherchons la certitude. Nous aimons les scénarios, les procédures, les plans. Et souvent, ces outils sont utiles. Mais pas toujours. En période de turbulence, il faut reconnaître les limites de la planification. Il n’y a pas de script pour diriger dans un monde de secousses tectoniques. 

C'est là que le cadre Cynefin est précieux. Il nous rappelle que toutes les situations ne sont pas identiques : 

  • Dans un contexte clair, la relation de cause à effet est évidente, et on peut appliquer les bonnes pratiques.

  • Dans un contexte compliqué, il faut analyser et s’appuyer sur l’expertise.

  • Mais dans un contexte complexe ou chaotique, les règles changent.


Dans la complexité, on doit tester, observer et s’adapter. Dans le chaos, on agit d’abord, puis on comprend ensuite. 

Attendre la clarté parfaite, c’est la paralysie. Diriger dans le gris, c’est faire preuve de sagesse. 

Quand le sol bouge, c’est nous qui devenons les ancrages

Alors que les plaques du monde continuent de bouger, la tentation est grande de s’agripper à de vieilles certitudes. Mais ce dont nous avons peut-être le plus besoin, c’est les un·es les autres. Pas seulement en tant que collègues ou professionnel·les, mais en tant qu’humain·es naviguant ensemble dans l’incertitude. 

Nous ferons des erreurs. Nous interpréterons mal certains signaux. Il nous arrivera d’agir trop vite, ou au contraire, pas assez. Et oui — à mesure que la situation évolue, les réalités changent aussi. Il se peut que nous soutenions une position aujourd’hui, et son opposée demain. Ce n’est ni de la manipulation ni de la malhonnêteté ; c’est le courage de s’adapter avec intégrité dans un monde en perpétuel mouvement. Et malgré tout, nous continuerons à être présent·es – avec notre tête, notre cœur et nos mains. Car lorsque le sol tremble sous nos pieds, c’est ensemble que nous devenons l’ancrage.

Continuons à construire ensemble ce terrain stable.

Adama Coulibaly : Répandre la positivité avec PositiveMinds

Adama Coulibaly, connu sous le nom de Coul, est un leader transformateur, un défenseur de la justice sociale et un champion passionné de la décolonisation. Auteur, blogueur et coach certifié, il se consacre à la promotion de l'équité et à l'inspiration du changement à travers ses écrits et son leadership.

Pour en savoir plus sur moi, cliquez ici.

https://adamacoulibaly.com
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