La Cinquième Vague : Combustible ou Extincteur pour l'Avenir des ONGI
PositiveMinds | Histoires positives | Edition 059
Image générée à partir de DALL-E | La cinquième vague : Une métaphore puissante pour les défis et les opportunités de transformation auxquels sont confrontées les OING.
Ahmed rêve de devenir enseignant. Mais dans son village isolé, déplacé par le conflit, ce rêve semble hors de portée. Sa famille vit dans une extrême pauvreté, partageant des repas insuffisants entre six frères et sœurs. L’éducation, les soins de santé ou la stabilité semblent inaccessibles, laissant Ahmed piégé dans un cycle de vulnérabilité et de désespoir
L’histoire d’Ahmed n’est pas un cas isolé ; elle reflète les inégalités systémiques, les injustices enracinées et la pauvreté extrême qui marquent la vie de millions de personnes dans le monde. Ces défis complexes et interconnectés sont précisément ce que les ONGI comme Oxfam cherchent à affronter. Notre mission est claire : lutter contre les inégalités pour mettre fin aux injustices et à la pauvreté.
Aujourd’hui, alors que ces inégalités s’aggravent et que les crises mondiales se multiplient, les ONGI se trouvent à un tournant critique. La Cinquième Vague — une invitation à la décolonisation, à la redistribution du pouvoir et à la transformation systémique — représente à la fois une opportunité et un défi. Elle exige une action urgente pour repenser nos approches et garantir que les ONGI restent pertinentes dans la lutte contre l’injustice.
L'évolution des ONGI : Une histoire de vagues
Depuis leur création, les ONGI ont connu des vagues de transformation, chacune façonnée par les crises et les exigences de leur époque.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les ONGI sont apparues comme des intervenantes d’urgence, répondant aux besoins humanitaires immédiats. Cette première vague était définie par l’urgence, avec un seul objectif : sauver des vies sans perspective à long terme.
Dans les années 1970 et 1980, une deuxième vague a élargi le rôle des ONGI, avec un accent sur la réduction de la pauvreté et l’assistance au développement. Cependant, cette période, bien qu’importante, a parfois mené à un alignement trop étroit avec les priorités des donateurs, éloignant les ONGI des communautés qu’elles cherchaient à servir.
La troisième vague, dans les années 1990, a marqué un tournant majeur. Les ONGI ont adopté une approche fondée sur les droits et le plaidoyer, lançant des campagnes ambitieuses pour un changement systémique. Des initiatives comme Jubilé 2000, qui ont abouti à l’annulation de plus de 100 milliards de dollars de dettes, illustrent cette transformation. Pourtant, malgré ces succès, les structures des ONGI sont restées centralisées et dominées par le Nord, limitant leur capacité à établir des partenariats équitables.
Dans les années 2010, le secteur a été confronté à une quatrième vague: une crise de légitimité. Des initiatives comme le Grand Bargain de 2016 ont mis en avant la nécessité de localisation et de responsabilité envers les acteurs locaux. Cette période a forcé les ONGI à repenser leur pertinence dans un monde en mutation rapide.
Aujourd'hui, la cinquième vague à une transformation profonde. Définie par la décolonisation, la redistribution du pouvoir et l’équité, elle invite les ONGI à repenser leur rôle dans la lutte contre les inégalités systémiques. Cependant, les progrès restent fragmentés et lents. Les crises actuelles constituent un appel pressant à accélérer ce changement.
Les tempêtes qui alimentent la cinquième vague
La Cinquième Vague est alimentée par une convergence sans précédent de crises mondiales. Ces défis imbriqués forment un effet ouragan, testant les limites des ONGI et redéfinissant les conditions de leur action.
Premièrement, les espaces civiques et démocratiques se rétrécissent partout dans le monde. Plus de 70 % de la populations mondiale vit dans des pays où les libertés civiques sont restreintes ou supprimées. Cette érosion des droits limite la capacité des ONGI à défendre la justice, protéger les droits humains et amplifier les voix des communautés marginalisées. Elle constitue une menace existentielle pour leur mission.
Deuxièmement, le déclin de l'aide publique au développement (APD) accentue la pression financière sur les ONGI. En 2022, l’APD aux pays en développement a diminué de 4 milliards de dollars. Les prêts concessionnels remplacent de plus en plus les subventions, aggravant les charges de la dette pour les économies fragiles. Les aides aux Pays les Moins Avancés (PMA) ont chuté de 4 %, et les subventions ne représentent désormais que 63 % de l’APD totale, le niveau le plus bas depuis des décennies.
Des décisions prises par des gouvernements conservateurs ont intensifié cette tempête économique. Dans plusieurs pays donateurs, des coupes dans les budgets d’aide au développement et des critères de financement plus restrictifs ont mis en péril des initiatives essentielles, notamment en matière de santé et les droits sexuelset reproductifs (SDSR). Ces changements réduisent non seulement les ressources disponibles, mais imposent également des conditions qui rendent leur accès plus difficile et moins attrayant pour des approches décoloniales et féministes.
Troisièmement, les crises climatiques et humanitaires s'intensifient. Les Nations unies rapportent que plus de 114 millions de personnes étaient déplacées fin septembre 2023, un record historique. Les catastrophes climatiques—sécheresses prolongées, inondations, ouragans—combinées aux conflits armés et à l’instabilité économique, renforcent les cycles de vulnérabilité et de souffrance.
Enfin, l'inégalité mondiale est la tempête sous-jacente qui alimente toutes les autres. Selon le rapport d'Oxfam Inequality Kills la richesse des dix hommes les plus riches du monde a doublé au cours des deux premières années de la pandémie, tandis que plus de 160 millions de personnes sombraient dans la pauvreté. Ces disparités ne sont pas simplement économiques ; elles sont des injustices systémiques qui renforcent les déséquilibres de pouvoir et d’opportunités.
La survie des plus riches Survival of the Richest souligne que les 1 % les plus riches ont accaparé près des deux tiers de toutes les nouvelles richesses créées depuis 2020, alors que des milliards de personnes luttent pour accéder aux soins de santé de base, à l'éducation et à l'eau potable. La lutte contre les inégalités n'est pas seulement une priorité organisationnelle, c'est un impératif moral pour les ONGI.
Une fenêtre d'opportunité qui se rétrécit
Les tempêtes qui nourrissent la Cinquième Vague nous rappellent l’urgence d’agir. Les ONGI ne peuvent se permettre des changements progressifs. Elles doivent adopter des stratégies audacieuses et transformantes, plaçant l’équité, la décolonisation et la justice au cœur de chaque décision.
L’histoire d’Ahmed illustre ces enjeux, mais elle incarne aussi un espoir. Son rêve de devenir enseignant est un rappel de ce pour quoi nous nous battons : un monde où l’opportunité n’est pas un privilège, mais un droit. Le temps d’agir est largement dépassé, mais la fenêtre d’opportunité reste ouverte, bien qu’elle se referme rapidement.
Les crises sont à la fois un test et une opportunité. La Cinquième Vague peut éteindre la flamme des ONGI ou la raviver pour qu’elle brûle plus fort que jamais.
Note de bas de page : Cette image représente "la cinquième vague", qui symbolise l'impact cumulatif de crises mondiales convergentes : inégalités, rétrécissement de l'espace civique, diminution de l'aide et escalade des urgences climatiques et humanitaires. La vague imposante reflète les forces de transformation qui façonnent les OING, et appelle à une action audacieuse pour exploiter ces défis comme des opportunités de changement systémique et de résilience. Le navire à l'avant-plan incarne la détermination à naviguer dans ces eaux turbulentes et à s'adapter pour un avenir plus fort.
Pour en savoir plus
Vous trouverez ci-dessous des articles que j'ai rédigés et qui développent les thèmes abordés dans mes réflexions sur les ONGI :
